Huit femmes

De Robert Thomas

En 1950, une famille bourgeoise — un couple, Gaby et Marcel, leurs deux filles, la sœur de l’épouse ainsi que leur mère — se prépare à fêter Noël. S’y ajoutent la cuisinière et la femme de chambre. Mais au matin, Marcel est retrouvé mort, assassiné, étendu dans son lit avec un couteau planté dans le dos. Chacune des sept femmes est soupçonnée. Dans la journée, elles sont rejointes par la sœur de Marcel. Cependant, il n’y a pas de moyen de communiquer avec l’extérieur : le manoir où vit la famille est situé à l’écart et le câble du téléphone a été coupé... Dans ce huis clos, la progression de l’intrigue révèle que chacune de ces femmes aurait eu une raison de tuer Marcel. Mais laquelle est passée à l’acte ? Et pourquoi ?... La recherche de la vérité donne lieu à un grand déballage qui fait apparaître les aspects mesquins, voire pitoyables, de chacune d’elles.


Article de Jean-Marc Beaudoin dans Le Nouvelliste du 29 octobre 1968, p. 7

Critique de Jean-Marc Beaudoin dans Le Nouvelliste du 26 novembre 1968, p. 9 :

Si la troupe des Compagnons Notre-Dame est considérée comme une troupe semi-professionnelle, la qualité des pièces qu’elle nous présente, elle, est de valeur professionnelle. C'est ce dont on a pu se rendre compte samedi soir dernier, alors que les Compagnons présentaient en avant-première au Centre culturel, "Huit femmes", de Robert Thomas.

Pour ceux qui ne sont pas allés voir la pièce et qui projettent de s'y rendre, je ne dévoilerai pas l'intrigue, parce que, comme toutes les pièces de Robert Thomas, il n'est révélé qu'à la toute dernière minute, de telle sorte que le spectateur est médusé. Cependant, on peut parler du dénouement. Il s'agit de huit femmes qui s'accusent les unes, les autres. Le seul homme de la maison a été assassiné, et après quelques déductions, l'assassin ne peut être qu'une d'entre elles. On s'interroge, on soupçonne tout le monde et par le fait même, on s'accuse mutuellement. Ces accusations, portées sans arrêt soit sur l'une ou sur l'autre, a pour effet de les révéler. C'est ainsi que chacune montre son vrai visage, forcé par les évènements. Comme chacune des sept femmes sait toujours quelque chose sur celle qui est attaquée, on a vite fait de la dénuder, de la voir sous son vrai jour. C'est ainsi que l'auteur, utilisant tout le répertoire de gags, dans une tension qui pourtant est dramatique, fait rire le public.

L'intrigue policière devient, avec ce déballage général ou personne n'apparait innocent, une cruelle comédie humaine, d'une psychologie aiguë et vraie...

Les rôles étaient habilement distribués. Chacun était son personnage. Bien que presque toutes aient l'âge des jeunes premières de tragédie, les costumes et le maquillage aidant, plus une interprétation remarquable de leur rôle, on oublie vite qu'elles sont jeunes, pour ne voir que le vrai visage de l'âme féminine dans ce qu’elle a de plus secret et aussi de plus pernicieux, lorsqu'elle ne pense qu'à elle.

Toutes les comédiennes étaient à la hauteur de leur rôle et il serait bien difficile de dire qu'une a surclassé l'autre. Personne ne prenait la vedette, mais toutes étaient présentes. Nicole Trudel, dans le rôle de Mamy, était tout simplement sublime. On sentait qu'il y a eu recherche sur le personnage et sur les habitudes et les manies de ces dames d'un certain âge.

Pour n'indiquer qu'un seul détail, elle tenait, comme les vieilles dames qui doivent se soutenir à l'aide d'une canne, une jambe légèrement pliée, le pied quelque peu en avant de l'autre. Quant à Francine Beauchamp,
elle interprétait d'une cruelle réalité le rôle de Gaby, la femme évoluée qui ne craint pas de blesser son époux en le quittant pour un autre homme. C'est aussi la femme mature, mais insouciante de ses enfants. Johanne Blanchet, pour sa part, donnait une belle image de la jeune fille qui feint un peu de pudeur, mais qui pourtant a avoué sèchement à son père qu'elle était enceinte. Cette jeune fille à qui tout est dû parce qu'elle n'a toujours connu que la facilité. Quant à Liane Montplaisir, dans le rôle de la petite Catherine, elle a su mettre toute la jeunesse, toute l'ingéniosité de l'âge de son personnage. C'est un boute-en-train qui ne reste pas en place et qui a une grande importance dans l'action de la pièce. Avant qu'elle fasse son entrée en scène, l'action est lente, mais aussitôt arrivée, elle se précipite, sa présence est ressentie jusqu'à la fin lorsqu'elle échappe un cri strident qui frappe droit au cœur. Augustine, la vieille fille hypocrite qui n'a jamais rien fait, mais qui possède à la fois les défauts du Malade imaginaire et de Tartuffe, est personnifiée avec tant de véracité par Lise Rivard, qu'on se dit à l'intérieur "Vieille maudite folle".

Aline Panneton, elle, est bien représentative de Mme Chanel, fidèle serviteur qui n'avait jamais levé la voix, jamais rien fait de grave, mais qui a quand même ses petites désobéissances, ses petites choses à dissimuler. Quant aux deux dernières comédiennes, Louise Rochon dans le rôle de Louise et Louise Guay dans celui de Pierrette, elles sont deux prostituées qui ont couché à peu près avec tout le pays. De tempérament différent, elles n'en sont pas moins semblables dans cette indifférence et cette insouciance de filles de vie.

On disait au début que les Compagnons offraient un spectacle de qualité professionnelle, et c'est ce que beaucoup ont remarqué. Comme chacun sait, l'art du comédien ne réside pas seulement dans l'interprétation exacte de son personnage, mais aussi sa technique de diffusion. Les voix se rendaient à l'arrière de la salle de telle sorte qu'on ne perdait aucune parole, si ce n'est peut-être au tout début, et la diction était impeccable. Leur technique est possédée. Il est vrai que ces comédiennes n'en sont pas à leur début et que toutes, elles suivent des cours d'art dramatique depuis déjà plusieurs années avec M. et Mme Gilles Boisvert, comédiens.

Il est facile d'analyser chacun des personnages parce que les interprétations sont remarquables, mais aussi parce qu'ils évoluent dans une mise en scène équilibrée. Signée Gilles Boisvert, aucune surcharge ne vient ennuyer le jeu des comédiennes, pas plus que des angles faux qui détruisent l'harmonie. Les dégagés sont naturels et sans encombrement.
Il faut signaler en terminant les décors assez exceptionnels. L'ensemble donne un demi-cercle, contraire à celui de l'amphithéâtre. Tous les meubles, chaises, tables, coussinets, sont de formes circulaires. L'effet visuel est assez spectaculaire. Ils sont de J.-James Trudel.

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