De Jean-Pierre Ronfard
Article du Nouvelliste du mardi 6 mai 1986
Avec La Mandragore de Jean-Pierre Ronfard : Éblouissante fin de saison chez les Compagnons
-- par Roland Héroux (Collaboration spéciale)
LA MANDRAGORE, de Jean-Pierre Ronfard, termine de façon éblouissante la saison des Nouveaux Compagnons. Les représentations de vendredi, samedi et dimanche ont rivalisé de vitalité, de frivolité et d'esprit. Les comédiens possèdent et jouent passionnément leurs personnages. Et ce n'est pas “prétentieux": c'est joué avec la seule prétention de jouer, de bien jouer, de jouer le mieux possible.
La mise en scène est sûre et souple, les décors évoquent un beau printemps florentin, les éclairages sont bien dosés et les costumes nous situent, eux aussi, à une époque où l’amour fut la belle et bonne chose: l'époque de la Renaissance. C’est mai, mois du désir, du plaisir, des doux et tendres abandons. C’est euphorique. La magie de l’air, de la lumière, des parfums, est insidieusement contagieuse : personne ni rien n’y échappe.
C’est au Centre culturel que tout ceci se passe depuis samedi. Les Compagnons rejoueront La Mandragore, dans l’étonnante mise en scène de Pierre Legris, jeudi, vendredi, samedi et dimanche. S’il est une pièce à voir, c’est bien celle-ci, pour goûter cette illusion, cet espoir que chez nous aussi arrivera enfin un radieux printemps.
Luc Arsenault a fait pour cette comédie florentine une scénographie de belle allure. Le prologue, après un bref chant, nous présente sujet et décor. Callimaco, jeune amoureux un peu fou, fait son entrée. Son cœur n’est qu’impétuosité. II veut et va conquérir la plus inaccessible des Florentines, Lucrezia, dont le mari Nicia fait ses délices de l’astronomie et croit que sa tendre épouse se contentera toujours d'amour platonique. Nicia croise un ami de collège. Bartolomeo, devenu moine. Nicia lui confie sa peine de n'avoir aucune descendance après sept ans de mariage. Le moine lui dit qu'il peut être père, avec certain scandalisé, l’invective.
Puis entrent la vertueuse Lucrezia et sa servante Lira a le don de troubler sa maîtresse en lui reprochant d'être en vain sérieuse Elle-même ne l'est pas trop. Elle ne parle pas qu'aux oiseaux! Arrive bientôt Sostrata, mère de Lucrezia. Elle se plaint de n’être pas encore grand-mère. Callimaco et Ligurio ne quittent pas du regard le jardin où s’échangent ces propos. Callimaco sent qu’il ne manquera pas d’alliés. Il faut berner Nicia, l’écarter, avoir la belle. Un médecin, même un faux, ferait-il l'affaire? Imagination et audace entrent en jeu. Nicia se persuade de faire prendre la mandragore, infaillible remède, à son épouse. Il accepte moins bien de n'être pas celui par qui la mandragore aura l'effet voulu. Reste à vaincre le dernier bastion. Lucrezia, indignée, a une de ces colères. Et pourtant elle accepte par pitié… Le sortilège opère.
Au matin. Lucrezia vante la mandragore. Elle se sent transformée. La vie ne sera plus comme avant.
Une nouvelle aventure commence : tourment d’amour s’apaise par Amour. Mais reste la fatalité de la mort toujours aux aguets.
Michèle Dion nous ravit en Lucrezia, elle a du métier et de la grâce. Tour à tour déchirée par son devoir, son désir, sa passion, elle émeut, sait émouvoir. Jean Martin est toute fougue en Callimaco. Sûr de lui, il charme et le sait. Son impétuosité a pourtant un temps d'arrêt. Il hésite, veut renoncer. Sa flamme le reprend. Lucrezia sera éblouie. Marcel Lampron fait un Nicia très saisissant, sympathique dans sa niaiserie, stoïque de résignation, fier aussi d'assurer sa lignée. Jean-Paul Arsenault situe son Bartolomeo dans une truculence bien programmée. Janine Lebel donne tout le relief voulu à la femme qui accepte tous les risques pour être grand-mère. Quelle faconde dans l’expression! Pauline Voisard fait de Lira une jolie petite étourdie qui met peu de temps à persuader Ligurio que rien ne vaut le printemps à deux. Serge Brosseau, un comédien compétent, joue à fond son rôle de confident de Callimaco et de soupirant de Lira.
La Mandragore est une comédie étayée de surprises, grâce aussi à un langage qui dérape. Ces Florentins parlent un français le plus souvent classique, mais la langue de Molière s’offre certains raccourcis à la québécoise. Quand ils sont "tannés”, c’est au “boutte”. Cela fait rire. Procédé simple, mais habile, et où Ronfard fait valoir ses choix. Allez voir La Mandragore un de ces prochains jours. C'est un bien joyeux divertissement.