De Marcel Dubé
Dans une vieille pension de famille, habitent des personnes simples et heureuses: Blanche et Virgile, propriétaires, Marguerite et Horace, célibataires dans la trentaine avancée qui doivent s'épouser, et Johanne, jeune fille naïve qui aime un voyou. L'arrivée d'un étranger bouleverse le cours de leur vie; un même destin semble les frapper.
Le texte ci-dessous est une critique de Pierre L. Desaulniers, au journal Le Nouvelliste, le 8 octobre 1965.
Le Temps des Lilas de Marcel Dubé, c'est une tranche du bloc note d'un observateur discret. L'action évolue au rythme du sablier, le cadre est un vas clos, le fil conducteur : un souffle léger, parfumé, dont les brusques bourrasques secoueront ces êtres fragiles.
Dubé s'est retiré, le spectateur a pris sa place. Aussi est-il à la recherche en leur présence, de ces mêmes impressions furtives qu'a ressenties l'auteur, ces impressions qui nous atteignent à fleur d'âme, comme le souffle tiède d'un être qui dort sur notre épaule : tiède et régulier, dont la cadence n'est brisée que par quelques soupirs, quelques sursauts du dormeur qui rêve.
Or, ce ne sera qu'à la toute fin du spectacle présenté en avant-première chez les Compagnons Notre-Dame, samedi soir, que cette tiède chaleur se répandit dans la salle. Pourquoi? C'est là tout le problème de la première création des Compagnons, cette saison.
Œuvre simple, certes, présentée avec beaucoup de simplicité de moyens. Création qui n'a pas atteint l'essence de l'oeuvre, son fond intime. Ce mur de brique que Virgile dit être érigé côté salle, il faudrait qu'il soit présent dans l'esprit de chaque interprète. La présence, le contact physique des personnages ne doit pas avoir d'autre raison d'être que le contact spirituel.
On voudrait que le corps de ces êtres soit de cristal pour ne nous montrer que l'âme. La simplicité si elle n'atteint pas à la mise en lumière de ce stade supérieur comporte de graves dangers, dont le principal est sa schématisation qui peut aller jusqu'à la caricature. Pourquoi, au moment le plus tragique de la pièce, la rupture fatale entre Marguerite et Horace, le public a-t-il autant rigolé? Parce qu'un jeu trop extérieur, une amorce trop caricaturale ne dégage que trop, l'aspect ridicule de cette vieille fille qui pleure sur ses espoirs déçus; notre rire nous cache le drame profondément humain de cet être brisé. De la même façon, les manifestations du combat dont Vincent est le siège, sa lente progression, nous échappe presque.
C'est au jeu d'un vieux routier des Compagnons, Louis-Philippe Poisson, à celui d'une débutante Estelle Robert qu'il faut nous raccrocher pour capter toute la sensibilité vibrante de l'œuvre de Dubé. Quant aux autres, ils ne parviennent pas à nous faire ressentir cet accablement grandissant qui les envahit.
À Janine Bellerive-Lebel (Marguerite) et à Robert Parenteau (Horace), on peut reprocher de n'avoir pas dégrossi leur jeu. L'abord est trop brutal chez Mme Lebel, où on cherche vainement quelques gestes qui nous rendent sensible son inquiétude, la fragilité de ses espoirs. L'effort est trop visible chez M. Parenteau, qui tombe à pieds joints dans la caricature.
Un personnage magnifique que celui de Vincent. Jean-Jacques Trudel qui l'a attaqué avec beaucoup de sobriété, pourrait parvenir à une composition de classe s'il parvenait à lui insuffler quelques gouttes d'humanité. Que soit moins gauche la scène du baiser surprise qu'apparaisse une certaine tendresse dans la scène du portrait par exemple, qu'on sente l'influence humanisante de ce jardin.
Nicole Trudel, première apparition en scène, joue avec beaucoup de prudence. Le personnage lui permettant difficilement de s'imposer, elle a choisi la modestie, la simplicité. Il nous faut cependant souligner la création très intéressante de Réjean Simoneau, un petit Roméo de ruelle qui se réveille trop tard à l'amour, l'apparition trop brève de Pierre Poirier. Ce jeune homme possède tous les éléments de ce qu'on appelle "la présence en scène", ce qui en fait un prospect à suivre.
Les Compagnons parviennent à insuffler une âme à leur création, puisque techniquement le spectacle est au point, le public pourra aller chercher au Théâtre miniature du Terrain de l'Expo cette fraîcheur, un souffle de printemps auquel nous ne sommes plus guère habitués.