Les fourberies de Scapin

De Molière

En l’absence de leurs pères partis en voyage, Octave, fils d’Argante s'est épris de Hyacinte, jeune fille pauvre et de naissance inconnue qu’il vient d’épouser, tandis que Léandre, fils de Géronte, est tombé amoureux d'une « jeune Égyptienne », Zerbinette, de passage dans sa troupe .

Argante, père d'Octave revient en ville pour le marier. Il ne sait pas que son fils s'est marié pendant son absence. Octave, très inquiet de la réaction paternelle à l’annonce de son union et, de plus, fort à court d’argent, implore l'aide de Scapin, valet de Léandre. Mais cet « habile ouvrier de ressorts et d’intrigues » ne parvient pourtant pas à faire fléchir le vieillard...


Cette production a été jouée évidemment à Trois-Rivières, mais aussi en tournée en Gaspésie et au Nouveau-Brunswick.

Le texte ci-dessous est une critique de Claide Roy, journaliste au Nouvelliste, écrit en 1967.

Samedi soir, en l'auditorium de l'École Normal Duplessis les Compagnons de Notre-Dame ont donné en avant-première une éblouissante représentation des "Fourberies de Scapin", la célèbre force de Molière.

Le rideau s'est levé sur un décor charmant, signé Jocelyne Guay-Beauchesne, qui est également responsable de la maquette et des costumes. Le décor, comprenant les deux maisonnette donnant sur une place, avec un escalier et une rampe laissant deviner la mer, servait très bien la pièce et les allées et venues des protagonistes, tout en étant suffisamment stylisé pour nos goûts modernes. Les costumes étaient également fort bien conçus, rappelant l'époque où fut créée la pièce, mais avec plus de simplicité qu'au grand siècle.

Tout le monde connaît la pièce de Molière et l'ensemble de quiproquo qui motive l'action. Il n'est donc pas nécessaire d'en dérouler ici l'imbroglio; des filles éloignées de leur père, l'une d'elles enlevée à quatre ans par les tziganes - qu'on appelle ici des Égyptiens, l'autre à Tarente, pour d'obscures raisons de famille. De l'argent enlevé aux pères pour racheter l'Égyptienne, enfin des amoureux qui se retrouvent et des mariages qui se font entre les enfants des deux pères.

Le "deus ex machina" de toute l'intrigue, c'est le fourbe Scapin, valet de Léandre, fils de Géronte, et chargé de veiller sur le jeune homme durant le voyage des deux pères. Ce rôle, magistralement tenu par Gilles Boisvert, responsable de la mise en scène avec Catherine Beauce, domine la pièce. Il est naturel, jeune, bondissant, plein de verve. Sa diction est nette et se projette bien, ce qui n'est pas le cas pour tous les acteurs. Les deux jeunes premiers, Octave, Lionel Tessier, et Léandre, Robert Poisson, parlaient parfois trop bas et l'on perdait un peu de leurs paroles. Mais ils étaient naturels et gracieux, avec leurs épées un peu embarrassantes. Mais la révélation de la soirée a été André Bernier, qui tenait le rôle de Géronte. Disons qu'il avait un rôle en or. C'est lui qui déclame d'une voix tour à tour larmoyante et colère, le fameux "Mais qu'allait-il faire dans cette galère?". Il en a gradué les effets avec une maîtrise digne des meilleurs comédiens. Avec sa forte corpulence, dans son costume de velours bleu, il a fait rire aux larmes dans la scène où Scapin l'enferme dans le sac et il a récolté la plus large part des applaudissements que l'auditoire n'a pas ménagés. Disons, pour employer une expression consacrée, qu'il a joué "juste" tout au long de la pièce, avec un naturel et une aisance vraiment surprenante. Ce jeune homme était Géronte, le vieillard type, dont le nom est passé dans la langue française.

Les deux jeunes femmes, Hyacinthe et Zerbinette, ou plutôt, Ann Miller et Nicole Poisson, étaient ravissantes dans leurs robes de style, largement décolletées. On a beaucoup admiré Zerbinette dans la scène du fou-rire, quelle a jouée avec beaucoup de naturel, quoique cela ait paru un peu long à quelques spectateurs. Mais il faut bien comprendre l'esprit de Molière qui force toujours un peu la farce. On joue ainsi cette scène à Paris, à la Comédie Française.

Les rôles secondaires étaient tenues convenablement et n'ont pas ralenti la pièce qui, sauf au début, s'est déroulées à un rythme endiablé. Les acteurs savaient parfaitement leur rôle - ce qui n'est pas toujours le cas dans une avant-première.

Enfin, il faut louer tout le monde, mentionner les éclairages, le choix de la musique, qui ne couvrait pas les voix et qui introduisait bien chaque scène. Quelques-unes de ces scènes resteront dans nos mémoires : celle de la galère, celle de la bastonnade dans le sac, et le dialogue entre Géronte et Zerbinette. On ne peut oublier non plus l'astuce de Scapin qui dans les scènes où il soutire de l'argent aux deux vieillards, s'est montré tour à tour enjôleur, menaçant, gamin et incroyablement drôle.

En somme, un bon spectacle que voudront voir tous les Trifluviens. Les privilégiés, qui ont assisté à l'avant-première, ont terminé la soirée par une dégustation de vin et de fromage où se pressait une foule élégante qui trouvait là l'occasion de félicité de nouveau les acteurs.

Après cette soirée, on peut conclure en disant que les Compagnons ont dépassé le stade de comédiens amateurs et qu'ils pourraient aisément se classer parmi les professionnels.

École Normale CEGEP